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1/24 – Surfaces chaudes et lisses à l’éclat doux et profond

Surfaces chaudes et lisses à l’éclat doux et profond

7 questions à Salome Lippuner, nouvelle membre du groupe régional SWB Suisse orientale. Salome Lippuner est urushisakka et orfèvre. Elle vit et travaille à Trogen.

La lettre 1/24, 27.02.2024, Text: Questionnaire: Monika Imboden
Bracelet «Black, White & Gold»: bois, urushi avec technique de la coquille d'œuf. Photo: Xavier Reboud.

En quoi le travail d’une urushisakka consiste-t-il?

Le mot japonais urushisakka peut être traduit par auteure d’urushi. L’urushi est la sève de l’arbre à laque urushi no ki (rhus verniciflua en latin) qui pousse en Asie de l’Est. Il s’agit d’un matériau d’œuvre beau et précieux qui doit être travaillé avec habileté. Contrairement au maître de la tradition artisanale japonaise, une auteure n’a pas suivi de formation strictement réglementée à la suite d’un maître ou d’une maîtresse. Ma créativité a donc pu s’épanouir de manière plus libre. Mon origine non asiatique y a certainement aussi contribué.
Je conçois mes travaux et les exécute de mes propres mains. Je travaille aussi souvent avec des spécialistes du bois, comme des menuisières et menuisiers ou des tourneurs et tourneuses.

Qu’est-ce qui t’a incitée à travailler avec l’urushi comme matière première?

Dès mon enfance, j’ai été en contact avec des objets japonais urushi comprenant des inrōs – boîtes à sceau ou boîtes à médicaments japonaises – ou des coffrets. J’ai pu non seulement les regarder, mais aussi les toucher, et je suis immédiatement tombée amoureuse de leur surface chaude et lisse et de leur éclat doux et profond. Plus tard, avant de commencer mon apprentissage d’orfèvre, j’ai découvert à Paris les meubles d’Eileen Gray travaillés avec de l’urushi. Il m’est alors apparu pour la première fois que je pouvais moi aussi travailler avec ce matériau. Il était évident que j’allais commencer par l’utiliser sur des bijoux.

Tout à fait approprié pour la salle de bains: fuki urushi à l'hôtel Maistra à Pontresina. Photo: Andrea Klainguti.

En tant qu’urushisakka, tu exerces un métier traditionnel et très bien gardé. Comment as-tu réussi à obtenir de bonnes sources d’approvisionnement en urushi?

D’abord par l’intermédiaire de ma première professeure, la restauratrice et artiste laqueuse Silvia Miklin. À l’époque, avant l’ère d’Internet, l’acquisition d’urushi était très difficile, non seulement pour les Européennes et Européens, mais aussi pour les Japonais et Japonaises qui n’étaient pas du métier. Plus tard, après avoir travaillé dans différentes manufactures d’urushi à Wajima, j’ai pu m’assurer la collaboration d’un marchand de laque; aujourd’hui, c’est sa fille qui dirige le magasin. Elle connaît et apprécie mon travail et me fournit les différentes qualités d’urushi pour mes besoins toujours changeants.

Tu as commencé ton travail avec l’urushi par des objets-bijoux. Comment as-tu procédé?

J’ai d’abord reçu une très brève introduction de Silvia Miklin. Ensuite, j’ai fait beaucoup d’essais et j’ai commencé à développer mes propres techniques. Comme il n’y avait pas de tradition urushi dans la création de bijoux et donc pas de modèles, le défi consistait à trouver une forme d’expression propre, adaptée aux bijoux. Lorsque, après quelques années d’expérimentation, j’ai ressenti le besoin de confronter mon travail à la culture d’origine, je me suis rendu à Wajima, le lieu d’urushi le plus prestigieux et le plus traditionnel du Japon. À mon grand étonnement, j’y ai été accueillie à bras ouverts grâce à mes créations. On m’a certes dit que je ne savais rien faire, mais mes objets ont été reconnus comme très intéressants. J’ai été invitée à revenir et à apprendre le wajimanuri-urushi de fond en comble, ce que j’ai fait en travaillant dans différents ateliers.

Une nouveauté à l'hôtel Maistra de Pontresina: de grandes surfaces recouvertes de shippi urushi sur la porte coulissante à droite de l'image ainsi que sur les tables. Photo: Olivia Guyer.

Pour tes mosaïques de coquilles d’œufs, tu utilises d’autres techniques asiatiques traditionnelles. Comment fais-tu cela?

Le bracelet «Black, White & Gold» est un exemple de l’évolution des techniques asiatiques traditionnelles: sur le noyau en bois sculpté du bracelet se construisent les nombreuses couches de spatules urushi. Celles-ci garantissent d’une part la robustesse nécessaire, et d’autre part, elles perfectionnent la forme. La couleur propre de l’urushi ressemble à la palette de couleurs de l’ambre. Elle va du brun foncé au jaune. Pour créer des zones blanches, on utilise traditionnellement des coquilles d’œufs de caille, qui sont insérées selon une technique spéciale. Mais j’utilise pour cela des coquilles d’œufs de poule un peu plus épaisses, qui donnent une autre apparence de craquelé. Je pose plusieurs couches très fines d’un urushi clair et poli sur les fragiles coquilles d’œufs. Les zones «noires» sont obtenues grâce à un urushi foncé de haute qualité et appliqué en couches épaisses. Ensuite, on procède au polissage. Dans l’atelier de mes professeurs à Wajima, ce procédé serait un «no-go» absolu. L’imperfection de la feuille d’or à l’intérieur du bracelet est également voulue par moi. Aujourd’hui, la précision mécanique est partout. Avant la révolution industrielle, la perfection manuelle était encore jugée différemment. Les habitudes visuelles changent. Aujourd’hui, il s’agit davantage de l’expression directe des propriétés des matériaux et des formes que de l’impeccabilité, qui peut aussi ennuyer l’œil.

Tu es également active dans l’architecture d’intérieur et le design de meubles et tu as récemment collaboré avec Gion A. Caminada. Quel était ton rôle dans le nouvel hôtel «Maistra 160» ouvert à Pontresina?

Je connais Gion Caminada depuis de nombreuses années et je l’ai tenu au courant de mes travaux de surface pour les espaces intérieurs. Il a saisi l’occasion d’une collaboration pour l’hôtel «Maistra 160» à Pontresina. J’ai pu y réaliser une partie de l’aménagement des salles de bains en fuki urushi (peinture essuyée). Avec sa surface antibactérienne, résistante aux acides et aux liquides alcalins, l’urushi est idéal pour les salles de bains et les cuisines. Nous avons également réalisé des tables et une grande porte coulissante en shippi urushi (urushi sur bois recouvert de cuir). La peinture d’urushi sur de si grandes surfaces n’est pas courante en Europe. Je dois ce savoir à mon ami Shinji Takagi. Il est architecte à Wajima. Ses propres projets d’intérieurs et de meubles revêtus d’urushi nous font passer de la tradition japonaise à l’actualité. Un jour, il m’a remis les recettes de grandes surfaces urushi, en me demandant de concevoir des intérieurs et des meubles urushi en Europe. Il m’a dit que j’en avais les capacités et qu’il serait toujours à mes côtés pour me conseiller. Je ne me le suis pas fait dire deux fois.

 

La chaise «Crossed Legs», créée en collaboration avec Sylvain Dubuisson et Sandra Carigliano. Photo: Maxime Riché.

Jusqu’à récemment, ton exposition «The Timeless Glow of Lacquer» était présentée à la galerie Anne-Sophie Duval à Paris. Qu’y as-tu exposé?
La galerie est une adresse réputée pour l’art déco. La jeune génération souhaite désormais élargir son offre en direction de la création contemporaine. Pour l’exposition, j’ai eu l’honneur de pouvoir établir un pont avec quelques «anciens» objets de Jean Dunand, Hamanaka et Albert Rateau. Pour cela, je souhaitais collaborer avec un créateur français. La galeriste m’a mise en contact avec l’architecte et designer Sylvain Dubuisson ainsi qu’avec la designer et artiste Sandra Carigliano. Une confrontation passionnante a commencé, au-delà des différentes cultures. Il en est résulté le fauteuil «Crossed Legs», ainsi que quelques miroirs et plateaux.
Parmi mes propres créations, on pouvait voir de nombreux bijoux, ainsi qu’un paravent en bois de cèdre traité et laqué au feu et des plateaux laqués à l’urushi dans la tonnellerie blanche traditionnelle d’Appenzell.

Remarque ultérieure: Malheureusement, le tremblement de terre du 1er janvier 2024 a gravement endommagé la région de Noto Hanto et de Wajima. La vieille ville de Wajima a partiellement brûlé, des ateliers ont été détruits et l’on a également déploré de nombreux morts. Le souhait de Shinji Takagi est que la culture de la laque à Wajima ressuscite de ses ruines et que Wajima devienne la Mecque de l’urushi.