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1/24 – Œuvre et Rau

Œuvre et Rau

Le Werkbund se réinvente. Le nouveau site web et la nouvelle Lettre n’en sont que les manifestations formelles. Au cœur de la nouvelle orientation se trouvent les contenus, les modes d’action et les objectifs pour lesquels La lettre sera une plateforme. Elle se veut un lieu de discussion, de dialogue et de compréhension; elle doit offrir un espace dans lequel la diversité d’opinions pourra s’exprimer.

La lettre 1/24, 29.04.2024, Text: Tinu Beutler

Milo Rau, metteur en scène, dramaturge, essayiste et scientifique né à Berne en 1977, met en scène «Orestes in Mossul» à Mossoul et plus tard au Schauspielhaus de Zurich. De cette mise en scène naît l’initiative d’un projet d’école de cinéma en collaboration avec l’Institute of Fine Art de Mossoul. Il met en scène le film «Le nouvel évangile» et, sur cette base, les réfugiées et réfugiés lancent une nouvelle ligne autogérée de produits à base de tomates.

Les travaux de Milo Rau laissent entrevoir une autre notion de l’œuvre que celle qui caractérise traditionnellement la création culturelle. J’ai pu discuter avec Milo Rau lors d’un entretien et j’essaie maintenant de poser pour le Werkbund des bases de discussion autour de la notion d’œuvre.

L’une des forces et des points forts du Werkbund est sa transdisciplinarité, la diversité de ses membres et de leurs activités, ainsi que le dialogue. C’est pourquoi la question qui me préoccupe est de savoir comment la notion d’œuvre de Milo Rau peut être transposée à d’autres disciplines et comment il est possible de trouver des points de recoupement. Ce type d’approche pourrait-il également convenir au Werkbund?

Pour l'adaptation d'«Orestes in Mossul», qui se déroule à Mossoul, des étudiantes et étudiants ainsi que des acteurs et actrices professionnel-le-s ont mis en scène la mort d'Agamemnon devant un bâtiment artistique bombardé. © Photographie: Sergey Ponomarev

Avec ses «Tribunaux» à Zurich et Moscou ainsi que le «Tribunal sur le Congo» à Bukavu et plus tard à Berlin, Milo Rau a fait entrer le théâtre dans la réalité sociale immédiate et actuelle. Son œuvre se caractérise par le fait que si les «espaces artistiques» sont utilisés comme base et point de départ des travaux, l’œuvre et l’action s’inscrivent directement dans la vie quotidienne, dans les circonstances et les dysfonctionnements économiques et politiques. L’éthique des œuvres (il est réjouissant de constater que l’on n’y trouvent pas de conseils ou d’instructions morales) vise à rendre les êtres humains à nouveau acteurs et actrices de leur histoire et leur donne ainsi la force de retrouver leur dignité. À ce sujet, j’aimerais donner à l’attention des néophytes trois brèves descriptions de complexes d’œuvres de Milo Rau:

 

«Orestes in Mossul»

Rau a mis en scène «Orestes in Mossul» au Schauspielhaus de Zurich. Au début, l’accent est mis sur les actes de Daech en Irak, la douleur et l’horreur de la population, des victimes et des personnes survivantes. «Orestes in Mossul» traite de la rupture de la spirale de la violence et de la vengeance. Comme l’«Orestie» d’Eschyle, «Orestie à Mossoul» traite du pardon. Les participantes et participants racontent leurs histoires – douloureuses, chargées de honte et de culpabilité. Les raconter leur permet de se rapprocher d’elles et d’eux-mêmes. Sur scène, cela se passe avec un nombre limité de personnes directement concernées et de participant-e-s. Il y a beaucoup d’autres histoires, beaucoup d’autres personnes qui veulent et doivent raconter leurs histoires pour pouvoir à nouveau faire l’expérience de l’autodétermination et continuer à vivre dans la dignité. C’est ainsi que naît l’école de cinéma en tant que lieu de narration d’histoires personnelles – avec un équipement rudimentaire pour filmer dans des locaux détruits, dans une ville ravagée par la guerre. Cette école devait être établie et sa mission de collecte d’histoires appréciée. Une «avalanche de demandes absurdement coûteuses», selon l’expression de Milo Rau, a été déclenchée – absurde au vu des sommes demandées. Mais en fin de compte, l’école est née! L’UNESCO l’a financée et l’a ainsi distinguée en tant qu’institution culturelle pertinente et a rendu hommage aux personnes qui ont filmé leurs histoires dans cette école.

 

«The New Gospel»

«The New Gospel» ou «Le Nouvel Évangile» a fait l’objet d’un film. Le tournage a eu lieu dans la ville de Matera, dans la Basilicate, au sud de l’Italie, avec des acteurs et actrices professionnel-le-s ainsi que des personnes réfugiées qui vivent dans des villages en plastique et qui cueillent des tomates pour la mafia, pour un salaire de misère. «Le Nouvel Évangile», c’est aussi la marque de produits à base de tomates «NoCap», qui produit sans recourir à l’esclavage et soutient les migrantes et migrants de Basilicate qui veulent conserver leur dignité.

 

La recherche d’une définition de l’œuvre

Chez Milo Rau, une œuvre ne se limite pas à une production précise. L’art et la culture se propagent dans son action, qui s’ancre dans la vie quotidienne et y dessine d’autres cercles. Quelque chose est créé, qui développe sa vie propre, se déploie et devient autonome.

 

Bouleversements liés à la confrontation avec Milo Rau et son œuvre

Après avoir discuté avec Milo Rau, lu ses cours de poétique et son livre «Was Theater kann» («Ce que peut le théâtre»), je remets fondamentalement en question ma définition de ce qu’est une œuvre afin de l’élargir. Les pensées et les associations que suscitent les échanges avec Milo Rau ne sont pas seulement liées au processus de transformation du Werkbund Suisse. Elles me secouent en tant qu’être humain, en tant que citoyen et artiste impliqué dans l’action et la vie. Elles exigent une compréhension de soi, de l’être, de la pensée et de l’action.

La célébration de la forme isolée et l’observation hors contexte de la création artistique sont à l’opposé de l’attitude fondamentale de Milo Rau. En termes positifs, cela signifie une contextualisation de la création – vers une œuvre qui a un impact social, politique, éthique et économique.

De la discussion avec Milo Rau se dégagent des paramètres que j’aimerais consigner sous la forme d’un manifeste du Werkbund; une contribution à la pensée du Werkbund que j’aimerais vivre et promouvoir personnellement et qui pourrait élever le Werkbund à de nouveaux niveaux de pensée et d’action.

Je remercie Milo Rau pour cet entretien, pour son courage et sa ténacité, et pour l’inspiration que suscite son œuvre.

 

Manifeste du Werkbund: essai

Avant d’assumer une quelconque fonction dans l’ensemble, l’homme doit développer sa dignité, son autodétermination et sa responsabilité personnelle.
d’Emmanuel Kant est à l’origine de cette attitude: «Agis de telle sorte que tu aies toujours besoin de l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, à la fois comme une fin et jamais seulement comme un moyen».

L’éthique, et non la morale, est à la base de nos pensées et de nos actions.
Alors que la morale veut imposer des règles de l’extérieur, l’éthique est l’ensemble de règles personnelles dont nous sommes responsables et à l’aune desquelles nous mesurons nos actions personnelles. Wittgenstein a formulé l’éthique comme ce qui, lorsqu’on le nomme, disparaît. Ou, dans le pire des cas, devient une morale et veut donc s’imposer aux autres.

Sans ébranler les croyances auxquelles notre société se soumet, nous faisons de la cosmétique.
La liberté exige d’être responsable de nos actes. Une valeur ne peut pas toujours être convertie en un montant. Bien sûr, nous susciterons des résistances, l’incompréhension et le rejet des marchés et des disciplines. Cela fait partie du processus lorsque l’on remet en question des principes fondamentaux.

La transdisciplinarité implique le respect des disciplines et de s’accorder une capacité d’apprentissage réciproque.
Rien de ce qui doit avoir un impact dans différents milieux de vie ne peut naître d’une seule discipline. La véritable durabilité est toujours transdisciplinaire, elle s’étend au-delà de l’œuvre proprement dite.

Les grands noms du passé sont les épaules sur lesquelles nous nous appuyons
Avoir eu de grands noms au sein du conseil d’administration, du bureau et des membres est une belle et précieuse fondation. Le plus grand honneur que l’on puisse faire à quelqu’un, c’est qu’il nous ait inspiré à le dépasser. La citation pure est du folklore.

Cette liste est personnelle. Elle doit être considérée comme une base de discussion et souhaite inspirer le développement de nouvelles actions.